En 2024, les ventes de musique enregistrée au Royaume-Uni ont atteint 2,4 milliards de livres sterling, un record inégalé depuis 20 ans. Portée par le succès du streaming et le renouveau du vinyle, cette croissance témoigne d’une transformation majeure des habitudes de consommation musicale. Toutefois, derrière ces chiffres impressionnants, des inégalités persistent, notamment pour les artistes.
Le streaming domine, mais le vinyle revient en force
Le streaming continue de s’imposer comme le moteur principal de l’industrie musicale, représentant 85 % des revenus de la musique enregistrée. En 2024, il a généré 2 milliards de livres sterling, soit une hausse de 7,8 % par rapport à l’année précédente, grâce aux plateformes telles que Spotify, Apple Music et Amazon Music. Pourtant, le format physique connaît un retour inattendu, porté par le vinyle. Les ventes de disques vinyles ont bondi de 10,5 % pour atteindre 196 millions de livres sterling, séduisant une nouvelle génération d’auditeurs en quête d’authenticité et d’un lien tangible avec leur musique.
Des artistes comme Taylor Swift ont joué un rôle crucial dans cette dynamique. Son album « The Tortured Poets Department », écoulé à près de 784 000 exemplaires, dont 111 937 en vinyle, est devenu l’album vinyle le plus vendu de l’année. D’autres artistes comme Sabrina Carpenter, Chappell Roan et Noah Kahan ont également contribué à ce succès, confirmant l’attrait du public pour une pop diversifiée et accessible.
Des artistes face à des inégalités persistantes
Malgré ces résultats spectaculaires, de nombreux artistes peinent à bénéficier pleinement de cette croissance. Selon le syndicat des musiciens, près de 50 % des artistes britann iques gagnent moins de 14 000 livres sterling par an, un revenu bien inférieur au salaire moyen. Naomi Pohl, secrétaire générale du syndicat, souligne : « Les chiffres records du marché musical ne reflètent pas la réalité des artistes. Beaucoup ne reçoivent qu’une part infime des revenus du streaming, ce qui accentue les inégalités au sein de l’industrie. »
Ce déséquilibre s’explique notamment par la concentration du marché entre les mains de trois grandes maisons de disques et par les faibles redevances issues des plateformes numériques. David Martin, PDG de la Featured Artists Coalition, appelle à une réforme urgente : « Tandis que les revenus des majors explosent, les artistes, eux, peinent à joindre les deux bouts. Une redistribution équitable de ces revenus est cruciale pour garantir un avenir durable à l’industrie. »
La musique live en danger
Le secteur des concerts, pourtant essentiel pour les artistes, traverse une période critique. En 2023, 125 salles de concert ont fermé leurs portes au Royaume-Uni, et de nouvelles taxes locales menacent jusqu’à 350 autres établissements, mettant en péril plus de 12 000 emplois. Kate Nash, chanteuse et militante, alerte sur cette crise : « Les tournées, qui devraient être une source de revenus pour les artistes, sont devenues un luxe inaccessible. Le prix croissant des déplacements et de la logistique rend tout simplement impossible de tourner sans pertes. »
Pour de nombreux musiciens, ces défis posent une question cruciale : comment maintenir une carrière viable dans une industrie où la musique enregistrée prospère, mais où les revenus live s’effondrent ?
Le vinyle, symbole d’un renouveau analogique
Alors que le streaming s’impose comme la norme, le vinyle témoigne d’un renouveau analogique qui séduit de plus en plus de consommateurs. « Le succès du vinyle n’est pas qu’une mode : il incarne une connexion émotionnelle et tactile à la musique, » explique Kim Bayley, directrice de l’ERA. En 2024, les ventes de vinyles ont représenté une part importante des revenus de la musique physique, prouvant que ce format a su trouver sa place dans un univers dominé par le numérique. La capacité du vinyle à offrir une expérience immersive et nostalgique attire une clientèle variée, des collectionneurs passionnés aux jeunes auditeurs curieux de découvrir un son plus authentique.
Ce renouveau du vinyle illustre également une tendance plus large : la coexistence entre le numérique et les formats physiques. Alors que le streaming offre une accessibilité sans précédent, les vinyles et autres supports tangibles répondent à un besoin d’expérience sensorielle et de possession culturelle. Cette dynamique hybride pourrait inspirer d’autres industries, comme le secteur de la vidéo, à réinventer leurs formats physiques.
Un avenir incertain pour l’industrie musicale
Malgré ses performances record, l’industrie musicale se trouve à un carrefour décisif. Les inégalités de revenus entre artistes et majors, la fragilité des salles de concert, et les défis liés à la monétisation des contenus numériques posent des questions fondamentales sur l’avenir du secteur.
Des solutions sont envisagées, comme l’instauration d’une taxe sur les billets de concerts en arène, dont les recettes serviraient à soutenir les petites salles et les tournées émergentes. Par ailleurs, une redistribution plus équitable des revenus du streaming est perçue comme indispensable pour garantir la pérennité de l’écosystème musical.
Comme le souligne David Martin : « Investir dans les créateurs et les infrastructures, c’est investir dans l’avenir de la musique. » Alors que les consommateurs continuent de plébisciter la musique sous toutes ses formes, l’industrie doit trouver un équilibre entre innovation numérique et soutien aux artistes pour bâtir un modèle durable.
2024 restera sans doute dans l’histoire comme une année charnière pour la musique enregistrée. Mais le véritable défi sera de transformer cet essor en une opportunité pour tous, qu’il s’agisse des stars internationales ou des artistes émergents, afin de pérenniser la richesse et la diversité de la scène musicale mondiale.