Meta, la société mère de Facebook et Instagram, a annoncé la suppression de son programme de fact-checking tiers. Une décision majeure qui marque un tournant stratégique et controversé, s’inscrivant dans un repositionnement vers des politiques plus conservatrices. Ce choix, salué par certains, pourrait transformer durablement le paysage numérique mondial.
Pourquoi Meta abandonne le fact-checking tiers ?
Dans une vidéo publiée sur Instagram, Mark Zuckerberg a annoncé la fin du programme de fact-checking tiers, affirmant que ce dernier était devenu « trop biaisé politiquement » et nuisait à la confiance des utilisateurs. À sa place, Meta prévoit de mettre en œuvre un système de contributions communautaires, semblable aux « Community Notes » de X (anciennement Twitter).
« Les récentes élections marquent un tournant culturel où la liberté d’expression redevient une priorité », a déclaré Zuckerberg. Ce changement stratégique s’accompagne d’un déplacement des équipes de modération de la Californie, un État progressiste, vers le Texas, dont les lois et la culture sont largement conservatrices. Ce mouvement rappelle fortement les décisions prises par Elon Musk après son acquisition de X.
Un repositionnement politique assumé
Meta semble vouloir s’aligner sur les attentes de l’administration Trump, récemment élue. L’annonce a été applaudie par Donald Trump lui-même, qui a salué ces changements comme « excellents ». En parallèle, Meta a promu des figures conservatrices à des postes clés, comme Joel Kaplan, ancien conseiller de George W. Bush, tout en écartant des figures plus centristes comme Nick Clegg.
Ces décisions interviennent dans un contexte où Meta est sous pression de la Federal Trade Commission (FTC), qui mène une enquête antitrust contre l’entreprise. Certains spéculent que ce repositionnement pourrait être une tentative d’apaiser les tensions avec l’administration américaine.
Quels effets sur la désinformation et la qualité du contenu ?
La suppression du programme de fact-checking sus cite des inquiétudes majeures quant à l’augmentation potentielle de la désinformation sur les plateformes de Meta. Pendant des années, les partenariats avec des organisations de fact-checking ont permis de limiter la propagation de fausses informations, en particulier dans des contextes sensibles comme les élections ou les crises sanitaires.
« Ces changements signifient que les utilisateurs devront désormais discerner par eux-mêmes ce qui est vrai ou faux », a déclaré Jane Lytvynenko, journaliste spécialisée dans la lutte contre la désinformation. En effet, de nombreuses organisations de fact-checking, qui dépendent partiellement des fonds de Meta, pourraient perdre un financement essentiel à leur survie.
En parallèle, Zuckerberg a annoncé que Meta recommanderait davantage de contenus politiques et sociaux dans les fils d’actualité, un changement qui pourrait intensifier les débats polarisants. « Les utilisateurs souhaitent revoir ces discussions dans leur feed », a affirmé le PDG, bien que ces contenus aient été réduits par le passé pour limiter leur impact négatif sur la santé mentale des utilisateurs.
Un impact mondial sur les normes de modération
Les décisions de Meta pourraient redéfinir les normes de modération à l’échelle mondiale. Avec plus de deux milliards d’utilisateurs, Facebook et Instagram jouent un rôle clé dans le façonnement des discours publics. Cependant, ce virage pourrait poser problème dans des régions où régulations et lois imposent une vigilance accrue sur la désinformation.
En Europe, par exemple, le Digital Services Act (DSA) impose des obligations strictes aux plateformes pour surveiller et limiter les contenus nuisibles. La nouvelle stratégie de Meta pourrait entrer en conflit avec ces régulations, entraînant des sanctions financières ou des restrictions opérationnelles. Dans d’autres régions, comme l’Afrique ou l’Asie, où Facebook est souvent la principale source d’information, ces changements pourraient aggraver la propagation de contenus faux ou manipulatoires.
Un pari risqué pour Meta
Si ce repositionnement pourrait séduire une partie de l’audience conservatrice, il risque également d’aliéner les annonceurs et les utilisateurs progressistes. Jasmine Enberg, analyste chez eMarketer, avertit : « La sécurité de la marque pourrait être compromise si Facebook et Instagram deviennent des vecteurs de contenus polarisants ou toxiques. » Une baisse notable de l’engagement des utilisateurs pourrait également fragiliser le modèle publicitaire de Meta, même si la taille colossale de l’entreprise lui offre une certaine résilience face à ces risques.
Par ailleurs, le déplacement des équipes de modération vers le Texas, un État aux lois conservatrices, pourrait avoir des implications symboliques et pratiques. « Remplacer un biais progressiste perçu par un biais conservateur ne résout pas le problème d’équité dans la modération », note un expert en régulation numérique. Cette stratégie pourrait également alimenter des tensions entre Meta et les régulateurs internationaux, notamment en Europe où les exigences en matière de modération sont en constante augmentation.
Un internet plus polarisé en perspective ?
Le repositionnement stratégique de Meta pourrait influencer d’autres géants technologiques. Si l’approche moins stricte de la modération s’avère payante pour Meta, d’autres plateformes pourraient suivre cet exemple, renforçant une tendance vers un internet plus permissif, mais aussi plus conflictuel.
En ouvrant davantage ses plateformes à des discours controversés et en réduisant les restrictions sur des sujets sensibles, Meta prend un risque calculé. Toutefois, cette stratégie pourrait renforcer les tensions sociales et politiques, tout en exacerbant la fragmentation de l’espace public numérique.
Avec ces décisions, Meta redéfinit non seulement sa propre stratégie, mais aussi les normes qui régissent l’écosystème numérique mondial. Le débat sur l’équilibre entre liberté d’expression et responsabilité numérique demeure plus pertinent que jamais, et les choix de Mark Zuckerberg continueront de façonner l’avenir des réseaux sociaux à l’échelle globale.